08 mai 2010

Des monstres.

Nous avons enfanté des monstres.

Une fin de cours... houleuse serait un pléonasme,  dans un gymnase d’une petite ville  d'une couleur qui se vole...
Une jeune prof, à peine débutante, réclame pour la quatrième fois, en criant, un ballon avec lequel trois gamins jouent encore et encore. Ils doivent être en sixième et n’ont donc pas plus de onze ans. Malgré les cris répétés de la prof (elle ne devrait pas hurler ainsi, elle va être aphone à vingt ans…) les gosses continuent leur jeu. De ses cris à l'autre grande, ils, comme ils disent, s’en battent leurs (petites) couilles.
Je suis dans le gymnase. Leur ballon passe à ma portée. Je l’attrape et me le colle sous le bras. L’un des kids, fonce vers moi. Je le connais un peu celui-là. Qui, dans tout l’Ouest, ne connaissait pas Calamity Jane à son époque? Lui, c'est Brandon. D'après ce qu'on disait de lui, il aurait pu se nommer Brandon Jane. Il portait bien son prénom. Brandon, une terreur de feu. Il avait fait sienne, (mais à quel âge?) la devise d'un club de football du coin. Il ne craint dégun, Brandon et passe son temps à vouloir le prouver. Arrivé à ma hauteur, enfin hauteur c’est façon de parler parce qu’il est encore pitchoun, le Brand pour son âge. Il m’arrive au niveau du buste, c’est dire. Il plonge droit dans le vif du sujet, il ne s’embarrasse pas de fioritures, il n’y met aucune forme: “Toi, me dit-il sans falbalas, toi, rends moi mon ballon”; Je commence à vouloir parlementer: “Il me semble avoir entendu votre prof le réclamer? Vous n’avez pas entendu?” Première erreur, il répond non, évidemment. Brandoninou n’entend que ce qui l’intéresse. Et quand il entend, Brand se fout pas mal de ce que les adultes peuvent dégoiser. C'est visiblement pour lui et ses potes, conneries et compagnie… A cet instant, avec mon bras, je resserre la balle contre moi. Le petit teigneux s’avance vers elle puis la saisit alors que je l’ai dans les bras en me regardant droit dans les yeux avec un regard de dingue. Il va me l’arracher, ma parole. Ce nain hargneux va venir me prendre le truc que j’ai dans les mains. Pas question. Je lui ai jeté le regard du lion mordant un bout de barbaque. Une manière de lui dire: “Tu touches à cette balle je te bouffe!” Il serre encore davantage l’objet du litige.  Mais ma parole, je me suis dit, elles sont prêtes, les trois pommes, à en découdre physiquement. Elles tiennent à avoir ce ballon à tout prix. J’ai pensé, s’il insiste encore, je lui donne un coup de boule. J’étais remonté comme une pendule. J’étais à un front de le faire. Il avait gagné,  il m’avait rendu méchant. Il a dû sentir ma détermination. Il s’est reculé en desserrant ses mains du ballon. Pour toute victoire j’ai juste dit: “Ça va pas non? Tu ne pensais tout de même pas me la prendre?” Ben si, il a répondu, laconique (sa mère?). J’ai fait demi-tour et j’ai rangé le ballon dans le local du matériel. Deuxième erreur, je n'ai pas fermé  la pièce à clef.  N'importe qui pouvait y entrer. Je suis parti.

Avant de sortir du gymnase j’ai entendu la jeune prof hurler après le petit démon: “Brandon, la balle, IM  ME  DIA  TE  MENT  …” Immédiatement, ça l’a bien fait rire, Brandounet.
Ce qu'il faudrait peut-être embaucher pour tenter de ramener un semblant de paix dans les collèges ce ne sont ni des gendarmes, ni des surveillants, ni des bérets verts mais des pédo-psychiatres ou des... exorcistes.


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17 commentaires:

yvelinoise a dit…

Excellent reportage !

Pour avoir travaillé en collège pendant cinq ans, durant lesquels j'ai simplement assisté ou participé à de telles scènes, je peux dire que ce récit est une tranche d'anthologie, ça sent le vécu, ou du moins l'observation sur le terrain.

Que ce soit en PACA ou en IDF, même topo. Le plus marrant c'est que j'ai connu un Brandon qui ressemblait furieusement au vôtre !

Anonyme a dit…

J'avais 25 ans, j'enseignais l'anglais à des BEP de mécanique... le premier jour, quand je les ai vus entrer, je m'ai dit ma fieu, ça va être dur. Aussi, avisant au milieu du chaos un plus bruyant que les autres bâti comme un demi de mêlée, et voulant frapper un grand coup pour montrer que j'avais même pas peur, je lui ai demandé de s'asseoir en silence, sans faire le malin parce que des comme lui, ajoutais-je en souriant,j'en bouffais quatre tous les matins... ben j'aurais pas dû. Il est venu s'asseoir sur mon bureau en me disant "ah oui poulette ? montre moi". J'ai jamais pu le faire descendre -)
Marie

chri a dit…

@Marie: Merci de l'éclat de rire!
Je suis presque certain que vous êtes devenus les meilleurs amis du monde, mais que ma fieu ça n'a pas été facile! A ceux là, je crois qu'on peut encore parler. Aux autres Brandon, là, même pas.

Nathalie H.D. a dit…

Ca fout la trouille.

Je me demande toujours comment ça se passe chez eux pour qu'ils se comportent comme ça. Ont-ils encore des parents, ces gamins-là? Est-ce qu'ils bouffent du parent comme ils bouffent du prof ou est-ce qu'il y a deux poids, deux mesures?

Bon, moi j'étais venue te dire que j'avais fait une nouvelle bannière et je voulais te demander si elle te plaisait mais là je suis un peu refroidie. Mes petites histoires de jolies images me semblent dérisoires.

Ca m'intéresse cette affaire-là, non seulement parce que c'est la vraie vie des collèges d'aujourd'hui mais parce que ce sont les adultes de demain.

Les rares fois où j'en ai rencontré je me suis sentie complètement démunie face à ces gamins. Tous mes repères de fonctionnement tombent, je sens que je n'ai pas les clés, c'est effrayant.

chri a dit…

@Nathalie: Il n'y en a pas beaucoup qui ont les clés!
Mais n'oublions pas les bannières qui ne sont pas dérisoires parce que sinon... Je file voir la tienne!

yvelinoise a dit…

Oui, comme dit Nathalie, ça fout la trouille, car ces gamins ne respectent plus rien.

Un exemple entendu à la radio, qui se passe à Avignon et pour lequel je viens de trouver des détails dans le journal...

Anonyme a dit…

Relativisons quand même, les brandon restent une minorité. Chiante, mais une minorité tout de même.
marie

chri a dit…

Oui, et heureusement! Mais un seul de ces petits amours suffit à bien pourrir la vie de pas mal de gens! Et, en même temps, ce n'est qu'un gamin perdu.

véronique a dit…

j'ai eu, le temps de ma lecture, l'impression d'y être aussi ...
mais comment faites vous donc pour garder votre "zénitude" Chriscot :o)

chri a dit…

@Véronique: Je hurle très fort en conduisant sur le chemin du retour et je yogate!!!

Anonyme a dit…

Et même un pédo psy en treillis pratiquant l'exorcisme et la boxe thaï. Il vaut mieux assurer le coup.
Bon, je rigole, mais un peu jaune en fait, car c'est bien en effet d'encadrement - une équipe aux compétences pédagogiques complémentaires - dont ont besoin les structures scolaires, et non de profs isolés que nos chers gouvernéants veulent de plus en plus MacGyver, de moins en moins enseignants.

Oups, pardon ! le sharkosant a trouvé la solution. Création d'internats spécialisés en têtes brûlées de 13 à 16 ans / création d'un nouveau poste dans les établissements : le garde des corps enseignants / mise en action de l'arme fatale : suppression des allocs aux mauvais parents.

J'espère que la jeune prof du brandounet est rassurée.

Slev

chri a dit…

@Slev: Oui oui, Slev Ça va aller pour elle, elle va se... reconvertir!

chri a dit…

@Slev En bateau, tu l'attaches à un bout le Brandon, tu le fous à l'eau et il sert d'appât aux barracudas, non?

Nathalie a dit…

Chri oui oui oui au projet appât pour barracudas, ça aurait un effet dissuasif sur les autres sûrement, comme la peine de mort a un effet dissuasif sur les assassins, tout le monde sait ça.

Je suis contente pour la petite prof qui va se reconvertir. Mais quel gâchis.

Contente que tu aies trouvé cri primal et yoga comme exutoires personnels.

Je souscris au pédo psy en treillis pratiquant l'exorcisme et la boxe thaï. Avant de psycho-biduler avec ces gamins, j'ai l'impression qu'il faut commencer par leur en imposer.

Après on peut travailler.

nathalie in avignon a dit…

Et j'adore tes paysages de mer changeants en bannière.

chri a dit…

@Nathalie J'ai commis a mistake Je pensais le mettre à l'eau non pas en appât mais en repoussoir aux barracudas!!!
Oui a l'exorciste en treillis de pédo psy avec un sabre Hattori Hanzo!

chri a dit…

@Nathalie:PS Merci pour les bannières!

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