27 novembre 2010

Un mauvais soir.

Il faisait, pour l'instant, une encore douce tiédeur de fin d'été.
J'étais monté m'asseoir sur un des  bancs du haut du village, celui qui reste exposé le plus tard au soleil du soir. J'avais, sur moi,  le carnet qui me sert à prendre des notes pour mes histoires. Ils étaient assis avant que j'arrive. Comme souvent, j'avais fait mine de lire, mais en vrai, j'avais noté leur conversation en me disant que ça pourrait peut-être faire une note. Ils disaient:
___ Dis ça fait un moment que tu n’as rien posté sur ton blog…
___ C’est normal, ça fait un moment que je n’ai rien écrit.
___ Il faudrait t’y mettre, aussi, ça ne vient pas tout seul, tu n’as plus d’idée ? Plus d’envie ? Tu es à sec ?
___ Non, ce n’est pas vraiment ça. J’en ai marre.
___ Marre ? Et de quoi ? On ne te demande pas un Nobel de littérature, juste un feuillet ou deux, un truc soit rigolo, soit sensible, un peu universel où tout le monde puisse se reconnaître, qu’on lise en vitesse entre deux cafés, en rentrant le soir du boulot ou même le matin devant un thé, avant de plonger dans les nouvelles noires du monde, un truc qui vide la tête, la prépare, déclenche un sourire, arrache une larmichette, un 21-29.7 pas trop mal tourné avec deux trois jolies phrases, sans faute d’accord ni de conjugaison enfin, tu vois le genre...
___ Ben justement j’en ai marre de tout ce cirque, je ne ponds que des pages qui ne valent rien.
___ Qui ne valent rien ? Ne crois pas ça ! Un sourire, une larme ça vaut, non.
___ Ben non justement, il est bien là le problème, tout ce que j’ai pondu au kilomètre durant cet été ça ne vaut rien. Et pire, sais-tu ce que ça m’a coûté en après-midis, enfermé dans ce foutu bureau alors qu’il faisait si beau dehors ?
Personne ne m’a filé deux ronds pour ça. Donc ça ne vaut pas tripette. CQFD. Tu te souviens de ce type que j’étais allé voir qui dirigeait une agence photo, du temps où je voulais lui caser les miennes ? Tu te rappelles de ce qu’il m’avait répondu quand je lui avais demandé ce qu’était, pour lui, une bonne image ?
___ Non, je ne me souviens pas ? Il avait dit quoi ?
___ Il avait juste répondu : Une bonne photo c’est une photo qui se vend bien. Ben voilà, une nouvelle, un texte c’est exactement pareil. C’est un truc qui rapporte, que des gens sont prêts à payer pour lire.
___ Oulah ou bien tu deviens cynique ou bien tu es gagné par le discours ambiant, toi : Ecrire plus et gagner plus… N’oublie pas qu’il a du plomb dans l’aile ces temps ci…
___ Heu pas vraiment, moi ce serait écrire encore mais gagner un peu, juste un peu, alors que tout ça ne m'a rien rapporté, pas même des ennuis.
___ Tu noircis tout ce soir, ils n’étaient pas si mal tes derniers…
___ Tu veux rire ? Tu plaisantes, j’espère ? N’importe quel neuneu peut en aligner des tonnes sans une égratignure, il suffit de s’asseoir à une table et de mettre la machine en route. Une botte de poireaux est capable d’en fournir, n'importe quel blaireau est à même d'en aligner des kilotonnes de ce truc là, il suffit de s'y atteler…
___ En fait, si je te comprends bien tu n’aimes pas écrire, je veux dire écrire pour écrire…
___ Ben finalement, tu vois assez clair, je ne crois pas que j’aime ça ! Ce que j’aime, tu vois…
___ Dis moi, ça va me plaire, je sens ça…
___ Ce que j’aime c’est : « avoir écrit ». Avoir dessiné une jolie phrase avec mes doigts qui fait une belle musique quand tu la dis à haute voix… J’aime quand c’est fini que j’appuie sur la touche "bloguer" et que j’envoie mon bouzin par delà les écrans. Ça oui, j’aime. Le reste, pas trop.
___ C’est quoi, le reste ?
___ Le reste c’est rester assis là à chercher le mot, la phrase, la manière de la construire pour qu’elle sonne juste, que quand je parle du vent, on entende le vent, que quand j’évoque une eau qui serpente on la sente serpenter, tout ça m’emmerde.  Ça m'amuse mais ça me fatigue et me pèse. Ça m’est difficile et, ne te moque pas, parfois douloureux tellement ça me semble difficile… Alors, vois-tu, si en plus ça ne me rapporte rien, au bout d’un moment ce n’est pas seulement pénible, ça devient chiant ! Tout ça ne me fait pas sourire, si tu veux savoir ! Si tu savais que quand j’en poste une j’ai à chaque fois le sentiment que ce sera la dernière, qu’il n’y en aura pas d’autre, jamais…Quelle misère !
___ Tu devrais te mettre à écrire un livre. Un vrai.
___ Merci bien! C'est tout ce que tu me souhaites? Comment faudra-t-il que je te le dise? Je ne suis pas un écrivain! Définitivement pas. Résolument pas. Absolument pas. S'il y a un truc que j'ai c'est cette lucidité! Ne me l'enlève pas, s'il te plait! Et surtout ne me fais pas le coup de penser que je dis ça pour entendre le contraire, ne t'abaisse pas à ça!
L'autre, après un silence entendu:
___ Tu sais, je ne voulais pas trop te le dire mais parfois, ça se voit que tu bâcles... On a l'impression que tu files à la fin et que tu te débarrasses... Je ne dis pas ça pour t'enfoncer parce que tu n'as pas l'air d'avoir grand moral, toi ce soir ! Mais je me dois te le dire. Il me semble quand même que tu oublies un peu vite tous ces gentils commentaires élogieux qui caressent ton égo dans le bon sens du poil et te font les bras tout lisses…
___ Et te remettent le cœur à l’endroit ? Ah ça c’est une belle chose! Tu postes un texte, quelques phrases et tu imagines qu’à l’autre bout, quelque part, tu ne sais même pas où quelqu’un va tomber dessus, lire JUSQU’AU bout et que ça va peut-être même lui arracher un sourire ou une larme, enfin quelque chose va être provoqué parce que tu auras posté…
Puis, comme s’il se reprenait en mains…
… Oui, les coms, bien sûr, évidemment, les coms, ça flatte mais j’achète quoi avec les flatteries? Et puis tu m’emmerdes toi aussi avec tes questions, voilà, je ne souhaitais pas être particulièrement désagréable, surtout avec toi, mais c’est dit, et je peux même te le redire si tu as manqué l'épisode : Tu me gonfles !
___ J’ai beau t’enquiquiner, mais ça t’est utile, c’est fait...  tu l’as ta page, non ?
___ Et tu serais prêt à me filer combien pour la lire ?
___ Ah mais rien du tout, t’as juste une page, et c’est marre, tu vas pouvoir copier, coller et appuyer sur bloguer, tu ne voudrais pas en plus que je te paie pour ça, non ! Ne te mets pas à rêver, mon Grand !
___ Dis... t’avais pas des photos à faire, toi, pour ton blog? Photographe aveugle...

L'un des deux s'est levé, plutôt fâché et a fichu le camp comme une mauvaise idée se  glisse le long d'un caniveau et disparait dans une bouche d'égout.
L'autre est resté assis un instant, un vague sourire dessiné sur son visage, presque soulagé.

Le soleil avait maintenant disparu derrière la colline, au loin. Puisque le vent s'était levé, le froid a déboulé en hurlant sur la place, comme un chien fou courant vers son maître...  Mais pour le mordre...

Mur 75 Rue Py

17 commentaires:

Brigetoun a dit…

tous, nous y passons tous - beau récit

Michel Benoit a dit…

Méfi, y'a une photo qui s'est glissée à la fin du texte !!!

chri a dit…

@Michel: Non? Une photo d'un pan de mur? C'est dingue!

Tilia a dit…

J'ai tout lu, de bout en bout ! mais je file en vitesse, ça fait un moment que je n'ai rien publié. J'ai quelques miettes sur la planche, me reste à les rassembler en un joli tas ;-)

Anonyme a dit…

La grande question, ça rapporte quoi ?
Le nombre de fois où on me la pose...
et quand je réponds, honnêtement, ce que ça rapporte, on se fiche de moi. 5000 euros pour un an de boulot ? mais je gagne ça tous les mois !
Oui, mais moi je m'emmerde pas une seconde, sur un an. Et toi sur un mois ?
Même si ça rapportait vraiment rien du tout, je crois que juste pour le plaisir des belles phrases, je continuerais...
Marie.

chri a dit…

@Marie: Ah mais c'est un des deux personnages qui parle de tout ça!
Ce n'est pas moi tout à fait. Cela dit, je ne serai pas contre ne pas avoir à gagner ailleurs pour pouvoir manger!

odile b. a dit…

Rêver de "dessiner une jolie phrase qui fait une belle musique quand on la lit à haute voix"... : évidemment, c'est différent, plus exigeant, tellement plus engageant qu'celles des pédants, ventripotents qui s'badigeonnent le nombril de leurs p'tites crottes tout juste bonnes à... "glisser le long d'un caniveau et disparaître dans une bouche d'égout"...
Ecouter, lire les autres, des fois, ça peut donner des idées ;-)

odile b. a dit…

PS :
C'est pas pour dire, mais elle est chouette, la nouvelle bannière !
PPS :
Vérification des mots : "REAED"...

chri a dit…

@Odile Ah Merci pour la bannière! Un peu de brouillard pour y voir un peu plus clair! Merci Odile...

Lautreje a dit…

Moi aussi, je suis allée jusqu'au bout et là je viens de semer le chien. Pas de solution pour ce mauvais soir, si ce n'est se coucher, demain est un autre jour !

Anonyme a dit…

Toutes ces pièces gratuites ... du coup le com' serait un peu comme rendre la monnaie.
Parait que pour vivre de sa plume faut avoir l'appétit léger. Sans doute pour ça qu'on dit que l'écriture est une quête.
Mais c'est pas pour dire, il y a des blogs qui ont de sacrées qualités. Des qui mériteraient de se tenir debout sur un rayon de bibliothèque. L'auteur pourrait choisir par exemple ses 52 textes préférés de l'année, puis, si les classiques refusent, faire appel à l'un de ces éditeurs via le net qui fabriquent et vendent le livre à la demande. Il y en a de sérieux qui ne font pas du "à compte d'auteur" déguisé.
Je ne dis pas que ça nourrirait son homme, mais l'argent littéraire peut rapporter quelques euroeux.
Non ?

Slev

chri a dit…

@Slev Voilà, l'objet debout sur un rayon d'étagère Billy (Ikéa), que tu peux prendre entre tes mains et reposer et reprendre! Juste un!

nathalie a dit…

Bon j'arrive en retard.
Là je suis mal. En laissant un commentaire j'ai l'impression de jouer ma partition dans le scénario écrit plus haut. Me voilà élevée au rang de caresseuse d'égo dans le sens du poil.

L'ennui c'est que ce tu écris là on l'a tous connu. Tu nous as coincés, le coup de l'égo on voit très bien ce que c'est.

Je ne sais pas bien comment avancer par rapport à tout ça. Dans notre société marchande seule ce qui se vend (cher, de préférence) a de la valeur. En pratiquant un autre mode de fonctionnement basé sur l'échange et le partage, nous sommes en train de créer autre chose qui n'a pas de prix. Du lien social, on pourrait appeler ça. C'est à la mode aussi. T'inquiète, on est dans la mouvance en fait. Un jour on sera reconnus.

Mais ce qui fonctionne pour moi, c'est de t'avoir rencontré en vrai. Mes commentaires ne sont pas du domaine du virtuel, ils s'adressent à quelqu'un que je connais. Je vois ton visage quand je t'écris...

Bon j'ai un peu dévié du sujet mais pas tant que ça en réalité :-)

chri a dit…

@Nathalie: Bon mais juste en vivre, alors!

Anonyme a dit…

ça n'engage que moi mais je lis là un texte qui pourrait être publié. Si j'étais éditeur, je le publierai, franchement.

chri a dit…

@Anonyme: Ça m'chauffe le cœur!

Nathanaël a dit…

Si Nathalie en 2010 arrivait en retard ... Je suis un spectre ! J'ai encore le sourire en banane de la lecture de votre texte Chri et certainement parce que je suis un jouvenceau dans la blogosphère le plaisir de s'exprimer me parait en soi suffisant, qui plus est d'être parfois lu et commenté ...Mais je l'ai dit je suis puceau ici !
Merci en tout cas du sourire...

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